Qui sait ce que peut un sol ?

Un projet d’installation sous forme d’un possible laboratoire des sols...
Mots clés : Texte, Installation

Un projet d’installation sous forme d’un possible laboratoire des sols...

ON NE SAIT MÊME PAS CE QUE PEUT UN SOL...

CONTEXTE...

La forêt précède les peuples, le désert les suit.
Attribué à François-René, vicomte de Chateaubriand

Le problème de la fécondité des sols – son maintien, son renforcement ou sa perte - occupe les êtres humains depuis bien plus longtemps encore que l’époque néolithique – usuellement considérée comme le moment de l’avènement de l’agriculture. Le néolithique, cette période durant laquelle des sociétés centralisées, basées sur des systèmes agricoles hiérarchisés et attachées à un territoire limité (permettant sa défense), émergent de la multiplicité des communautés nomades, dites des "chasseurs-cueilleurs", qui les précédaient - et qui leur ont d’ailleurs longtemps et vaillamment survécus.
Les archéologues ont en effet réalisé depuis peu que ces groupes nomades "pré-historiques" possédaient eux-aussi des pratiques agricoles conservatoires de la fertilité des sols – cultures momentanées et tournantes sur brûlis, récoltes annuelles de semis semi-naturels laissés à eux-mêmes durant l’entre-saison mais partiellement amendés, etc.
D’autre part, les archéologues et les historiens ont également appris à reconnaître les conséquences de certaines pratiques agricoles des nouvelles "cités-états", apparues au néolithique, peu adaptées ou trop "intensives" dans l’aridification – voire la désertification – de certaines régions du monde – en Méditerranée notamment1.
Plus encore, d’aucuns avancent désormais que l’on peut reconnaître de véritables "actes agricoles", de fertilisation ou de récolte, dans certains comportements de quelques uns de nos frères animaux...
A ce problème ancien et commun donc, la "révolution verte" des années 1940 – vaste opération de mobilisation des peuples paysans menée, à l’échelle de la planète, par une alliance de forces à la fois capitalistes, scientifiques et politiques - a répondu en préconisant l’usage massif et généralisé d’engrais chimiques, de pesticides et de fongicides. L’augmentation des rendements devenant le seul critère à l’aune duquel devait se mesurer la fertilité des sols.
Depuis les années 1970, au moins, de nombreuses voix se sont toutefois élevées de par le monde, au sein des communautés indigènes, scientifiques, paysannes et militantes, pour dénoncer le caractère létal de ces pratiques... Cette mort chimique et silencieuse s’instille non seulement au niveau de ses "cibles reconnues" - "mauvaises herbes" et autres "insectes ravageurs", mais, par répercussion et extension, elle se concentre également dans le sang et le système nerveux des oiseaux, des mammifères et des collectivités humaines qui peuplent les terres sur lesquels ces produits sont épandus.

Quand les sols meurent, les peuples meurent aussi...
De plus, il est apparu peu à peu qu’à ce biocide (comme certains l’ont nommé) se superposait inexorablement l’éradication des cultures paysannes locales dont chaque contrée particulière avait à la fois permis, supporté et conditionné l’essor. Lorsque les équilibres que les cultures "traditionnelles" entretiennent avec la terre alentour sont mis à mal et ne peuvent plus être régulièrement réactualisés, les singularités des peuples eux-mêmes ne parviennent plus à se maintenir et se régénérer... les traditions s’étiolent, les solidarités se délitent.
Pour ne donner qu’un seul exemple de la puissance du mécanisme à l’œuvre : l’achat des pesticides et des engrais chimiques, préconisé par les experts agricoles, encouragé (voire subventionné) par les autorités gouvernementales et internationales, a induit partout de par le monde la nécessité d’une "rentrée d’argent" régulière... nouveauté radicale qui de proche en proche a aboutit à une monétarisation et une marchandisation exacerbées des rapports sociaux - autrefois basés, pour une grande part au moins, sur l’entraide et le troc.

Bactéries, symbioses et fécondité du sol...
On sait désormais qu’au niveau microscopique - au niveau le plus intime de la vie même du sol - les effets de ces produits sont, au minimum, tout aussi destructeurs. Or c’est à ce niveau que se développe la "mycorhize" – l’association symbiotique entre racines, champignons et bactéries qui permet aux plantes d’avoir accès aux substances qui, dans le sol, leur sont nécessaires. Sans ce mécanisme biologique complexe, sans cet agencement multipolaire, les plantes sont en effet incapables de puiser quoi que ce soit de vital du sol. Les plantes n’existent qu’en totale dépendance avec un milieu complexe, intriqué, actif, vivant, qui leur donne accès à leur nourriture... et qu’elles nourrissent en retour ! Car si des flux de molécules organiques et d’ions minéraux passent des bactéries et des champignons aux plantes, les plantes diffusent elles des substances complexes (notamment des sucres) que leurs symbiotes microscopiques sont incapables de synthétiser par leurs moyens propres et qui, pourtant, leur sont indispensables.
Et l’ensemble de ces processus, de ces flux de composition-décomposition-recomposition de substances mènent ainsi les plantes, les champignons et les bactéries à co-créer leur propre substrat – le sol ! Sans ces échanges, la planète terre ne serait que roche... nulle vie. De cette symbiose... un monde possible s’instaure... un environnement se constitue à travers lequel la vie peut proliférer.

Le sol n’existe qu’à être sans cesse créé...


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On ne sait même pas ce que peut un sol...